Par : Vladyslav Semendyayev
À Glasgow, un premier centre médical supervisant la prise d’héroïne et fournissant la drogue elle-même aux toxicomanes, vient tout juste d’ouvrir ses portes. Cette clinique suscite de la controverse, de nombreux critiques affirment qu’elle favorise la prise de drogues dangereuses. Toutefois, il ne s’agit pas d’une première dans le monde, et ce centre suit le modèle de réussite de cliniques qui existent déjà dans plusieurs pays, comme en Suisse, au Portugal, aux Pays-Bas… et au Canada.
Le cas de succès qui a probablement été le plus influent est celui de la Suisse. Cette dernière est souvent vue comme la pionnière qui a introduit une façon vraiment efficace et humaniste de combattre le problème de l’addiction. Cette année, durant la session spéciale des Nations Unies sur la politique mondiale liée aux drogues, le ministre de la Santé de la Suisse a réaffirmé la stratégie de son pays qui a réussi à diminuer énormément la prise de l’héroïne, la mortalité liée à celle-ci et l’épidémie du VIH qui en advenait.
Tout a commencé dans les années 80, quand le taux d’infection du sida en Suisse était le plus élevé parmi les pays d’Europe. L’héroïnomanie faisait rage et ne cessait d’augmenter, amenant avec elle de nombreux problèmes : des personnes droguées qui traînent un peu partout, des seringues qui se retrouvent dans les parcs où jouent les enfants, une augmentation de la prostitution et du vol à l’étalage, et plus encore. Pour tenter de combattre le fléau, la Suisse s’est au début concentrée comme bien d’autres pays sur la répression des héroïnomanes. Vu les échecs flagrants de cette approche, son gouvernement a finalement décidé d’essayer une nouvelle stratégie. En 1994, il a introduit la prescription contrôlée de l’héroïne pour les personnes qui en étaient fortement dépendantes. Plus tard, pour éviter les potentiels abus, il décida plutôt d’ouvrir des centres où les toxicomanes peuvent se procurer de l’héroïne, mais doivent se l’injecter uniquement sous la supervision des médecins. Il est important de noter également que pas n’importe qui peut venir s’injecter cette drogue, il est nécessaire de s’enregistrer auprès du gouvernement et il faut que d’autres thérapies n’aient pas fonctionnées auparavant. Au final, cette stratégie, qui a été fortement critiquée au début, fut acclamée dès que ses résultats surprenants se sont fait connaître.
Rapidement, la mortalité due aux overdoses est tombée de moitié, les infections par le VIH ont diminué de 65%. Les parcs qui étaient auparavant remplis d’héroïnomanes se sont vidés, les enfants ont pu y jouer de nouveau. La criminalité a descendu drastiquement, la prostitution a chuté et, de manière générale, les rues sont devenues plus sécuritaires. Le taux de criminalité a fortement baissé, notamment parce que les héroïnomanes n’avaient plus besoin de faire de vol à l’étalage, de cambrioler, ou encore de vendre de la drogue pour nourrir leur dépendance fort coûteuse. Les policiers se sont rendu comptes des changements presque immédiatement et la plupart d’entre eux sont devenus favorables à la politique. D’ailleurs, près de 70% des citoyens suisses soutiennent aujourd’hui ce programme.
Les toxicomanes, quant à eux, se sont beaucoup mieux portés dans leur vie en général. La plupart ont su reprendre un train de vie normal, plus de la moitié ont cessé totalement de prendre de l’héroïne en dedans de trois ans et la majorité des autres ont fini par diminuer leur consommation. La proportion des personnes traitées qui ont trouvé un emploi permanent a triplé et chacun d’eux s’est retrouvé avec un logement où vivre.
Aujourd’hui, la consommation en Suisse est à un faible taux, comparable à ce qu’il était dans les années 70, avant que le boom d’héroïne ne soit arrivé dans le pays. Ceci dit, financer des cliniques où des centaines de toxicomanes viennent prendre leur dose à chaque jour est cher. Cela coûte environ 35 francs suisses par patient par jour, mais il se trouve que c’est moins cher que de les arrêter, de les juger et de les condamner, ce qui revient à 44 francs suisses par jour. C’est pour cela que quand des personnes demandent : «Pourquoi est-ce qu’on paierait pour un tel programme?», la réplique suisse pragmatique est : «Cela ne coûte pas d’argent, ça en sauve!» Rajoutons à cela tous les bienfaits mentionnés précédemment et nous avons une stratégie de lutte contre l’addiction particulièrement efficace pour son prix. Ce programme a d’ailleurs été repris ailleurs dans le monde, dont au Portugal, aux Pays-Bas et à Vancouver, avec des résultats positifs similaires.
À un moment où la guerre contre les drogues se présente comme un échec total et que l’argent surinvesti dans la répression, notamment par les États-Unis, tend à ne fournir aucun bon résultat, il serait peut-être temps de changer de stratégie et de s’appuyer sur les politiques qui ont réussi à faire progresser les choses dans la bonne direction. Des programmes innovateurs comme on retrouve en Suisse et maintenant au Royaume-Uni, se présentent comme une solution potentiellement miraculeuse qui devrait être tentée par plus de pays à travers le monde.
Sources : Chasing the Scream, Swissinfo.ch, Herald Scotland, CBC News, Huffington Post UK