La solidarité à l’égard des migrants est-elle une utopie ? En Calabre, tout un village s’y est mis. Et les habitants en sortent enrichis et heureux, au passage, d’avoir ressuscité leurs activités. Deux réalisatrices sont allées à la rencontre de ses habitants et de leur maire. Un Paese di Calabria sort au cinéma en France le 8 février 2017.
Riace est situé à l’extrême Sud de l’Italie. La terre y est aride, et les paysages striés d’oliviers y sont somptueux et ordonnés. S’inspirant de la grand-mère d’une des réalisatrices, obligée de quitter le village en 1931, la narratrice déambule dans les ruelles. Elle raconte que les maisons se sont fermées peu à peu, que les familles ont vendu leurs terres en croyant que leurs soldats ne reviendraient jamais, puis que les jeunes s’en sont allés. Jusqu’à ce jour de 1998 où un bateau transportant 300 migrants kurdes venant de Turquie a échoué sur « leur » plage…
A la rencontre d’une utopie
Une fois revenus de leur surprise et de leurs craintes, les habitants de Riace ont décidé d’héberger ces arrivants, de retaper avec eux les maisons abandonnées, d’être à l’écoute de leurs traumatismes, de leur apprendre leur langue, de les associer à leur vie. Les rives de la Méditerranée, en Italie et en Turquie, comme le dit un arrivant installé au village depuis 15 ans, se ressemblent tellement qu’il n’était pas dépaysé… Ensuite ce sont des Syriens, des Ethiopiens qui ont débarqué.
Leur histoire prend le contre-pied de ceux qui stigmatisent la fin de l’hospitalité européenne, comme Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, auteurs d’un livre-enquête principalement consacrés à la « jungle » de Calais et au Centre d’hébergement de Tempelhof à Berlin. Ici, dans cette Calabre pas si lointaine, les sourires ont très vite éclairé les visages, de part et d’autres. Et les habitants ont vu leur action montrée en exemple. Un traitement que doivent leur envier les habitants de la Vallée de la Roya, à la frontière franco-italienne, et les 4000 internautes du quotidien Nice Matin qui avaient récemment élu « Azuréen de l’Année » Cédric Herrou. Agriculteur et militant venu au secours d’Erythréens et traîné devant la justice pour délit d’hospitalité.
Les magasins, l’école se sont ranimés dans ce village calabrais, avec des professeurs parfois improvisés, gérant bénévolement de joyeux brouhahas, mais aussi une vraie soif d’apprendre. Aux matelas superposés dans des pièces défraîchies a succédé l’organisation des logements. Des peintures murales racontant l’exode des nouveaux villageois ont même fleuri sur les façades. Les artisans ont formé des apprentis et réveillé le tourisme au village. Et une équipe de football a pu voir le jour !
Ce qui transpire de la parole des habitants, c’est que les Italiens savent combien leur terre a vu défiler de peuples et de cultures au cours de leur histoire. Le regard des villageois exprime l’admiration face aux risques encourus par les naufragés.
Parmi les facteurs favorables à la rencontre, l’équipe du film s’est attardée sur deux personnages, Cosmo et Damiano, un médecin et un pharmacien arrivés en barque de Syrie ou de Turquie il y a bien longtemps, et sanctifiés pour avoir guéri les enfants malades.
Dans l’une des plus belles scènes du film l’église du village, noire de monde, accueille dans une totale ferveur le baptême d’un enfant né du viol d’une migrante avant sa traversée, ainsi que la prise de parole de jeunes musulmans dans leur langue, devant tous les fidèles priant pour la paix.
Autre scène, cocasse cette fois, celle qui montre le regard médusé de Somaliens devant des fidèles se précipitant vers l’autel pour demander la guérison de leurs proches !
Dans ce village tout simple, on accueille aussi chaque année les gitans, et des petits orchestres font danser le monde jusque dans l’église.
Ici l’étranger est tout, sauf « indésirable »
A la tête de ce mouvement de solidarité, un conseiller municipal particulièrement dynamique. Devenu maire, il a fait de Riace un village modèle pour l’accueil des migrants ; il a obtenu des aides de l’Etat italien et de l’Union Européenne au travers du projet « Città Futura » ; il a déjoué les intimidations de la mafia et créé une coopérative agricole ; il a inspiré, voire fédéré, d’autres villages en Sicile et dans le Piémont, dans cette Italie dont toutes les frontières, ou presque, donnent sur la mer. Ce maire de gauche, Domenico Lucano, a reçu le prix de la Fondation des droits de l’Homme à Berne.