En janvier, la ville de Flint (Etats-Unis) a été mise à genoux par une sévère pollution de son réseau d’eau par du plomb. Un épisode dramatique, qui a abouti à la contamination de 27 000 enfants par ce métal très toxique. A la fin de 2015, toute une région du Brésil a vu ses cours d’eau souillés par un cocktail de métaux lourds qui ont fini leur course dans l’Atlantique, tuant des milliers de plantes et d’animaux et privant d’eau potable près de 250 000 personnes.
Ces deux exemples récents viennent rappeler à quel point l’homme reste impuissant lorsqu’il faut purifier une eau contaminée par un polluant, des métaux lourds aux éléments radioactifs. Une solution alternative serait donc bienvenue.
Celle-ci pourrait venir de l’EPF de Zurich. Sreenath Bolisetty et Raffaelle Mezzenga ont mis au point un dispositif de filtration de l’eau qui piège la quasi-totalité des polluants avec une efficacité inégalée. Les deux physiciens ont décrit, lundi 25 janvier dans la revue Nature Nanotechnology, ce qui s’apparente à une membrane semi-perméable faite de charbon et de fibres d’amyloïde.
Fixer les ions
L’amyloïde est plus coutumière des revues de neurobiologie que de celles de physique des matériaux. « Il s’agit d’une protéine qui joue un rôle important dans certaines maladies neurodégénératives, telles qu’Alzheimer et Parkinson », explique Raffaelle Mezzenga. Chez les malades, elle s’accumule sous forme de fibres et de plaques dans le cerveau. Leur effet précis est encore discuté, mais une chose est sûre : elles fixent les particules chargées (ions) métalliques avec une forte affinité. « Comment utiliser à notre avantage cette protéine associée à de graves maladies ? C’était le point de départ de notre réflexion », se souvient le physicien.
Le principe de son invention rappelle celui des carafes filtrantes. De l’eau chemine d’un réservoir « sale » à un réservoir « propre » à travers une membrane qui piège les métaux lourds sur les multiples sites de liaison présents le long des fibres d’amyloïde. L’efficacité est redoutable : les auteurs expliquent ainsi être parvenus en un seul passage à filtrer 99,5 % du chlorure de mercure présent dans 50 millilitres d’eau. L’efficacité grimpe à 99,8 % avec du dicyanoaurate de potassium, molécule très toxique produite lors de l’extraction de l’or. Avec de l’uranium radioactif, le résultat atteint 99,4 %. « Nous avons été surpris par de si bons résultats. L’affinité entre l’amyloïde et les métaux lourds est vraiment exceptionnelle, c’est ce qui rend le procédé si efficace », commente Raffaelle Mezzenga.
Comparé aux méthodes de purification existantes, ce nouveau procédé offre moult avantages. La circulation de l’eau est assurée grâce à un vide créé par une pompe manuelle. « Il n’y a même pas besoin d’électricité », ajoute le physicien. Quelques minutes suffisent à filtrer un litre d’eau, voire moins si l’on augmente la pression. Le chercheur précise que cette membrane « fonctionne parfaitement avec différents métaux, à la différence des autres membranes, qui ne filtrent qu’un type d’ions ». Emmanuel Bonvin, directeur de Membratec, entreprise suisse active dans le traitement de l’eau, souligne l’intérêt de ces travaux : « La technologie décrite apparaît comme particulièrement innovante dans le domaine de l’extraction de métaux lourds ou d’éléments radioactifs d’effluents aqueux dans le sens qu’elle n’est effectivement pas spécifique : elle présente des taux d’abattement importants pour nombre des polluants environnementaux. »
SOURCE : Le Monde